François Stahly

Un tempérament de peintre

 

Il est difficile de définir l’unicité ou tout au moins la spécificité de la peinture de Marie-Thérèse Lanoa. On lui reconnaît unanimement un talent et un tempérament de peintre. Mais elle a été toute sa vie un outsider », qui passait outre les recettes du parfait paysage ou du parfait portrait d’un André Lhote, et elle ne savait que faire de l’analyse savante de Roger Bissière, qui lui reprochait de peindre ses paysages de préférence à contre-jour. Mais ce sont des considérations de chapelles.

Marie-Thérèse Lanoa a non seulement laissé à sa nombreuse progéniture un tableau émouvant d’une vie de famille heureuse, dans un paysage d’lle-de-France heureux, mais elle a fini sa vie de peintre dans un état de grâce chaque fois qu’elle posait son chevalet, ou plutôt son trépied, dans le sable mouvant de la plage de Carteret.

Ici sa peinture aquarelle est devenue à la fois aspiration et inspiration. Une lumière aspirée avec les yeux comme des poumons, où tout se transforme en elle en valeur d’un instant, saisie au vol des nuages fuyants, si proches de l’informel. Sous ce ciel de nénuphars célestes qu’étaient devenues les caravelles de nuages, passant à toute vitesse de l’horizon de Barneville vers la grande plage de Carteret, un double spectacle cinétique était né sur le sable où le soleil, à travers les caches et les découvertes des nuages, transformait le gris de plomb d’une fin de pluie, par une passe quasi magique, en jaune bouton-d’or, métamorphosant en un instant le vert émeraude de la jonction de la mer et du ciel en lie-de-vin entrecoupée de lambeaux de banderoles d’orange espagnole.Mais le miracle de ses aquarelles se passait encore ailleurs; je pense ici à ces quelques personnages lointains aux maillots rouges vifs ou à une mouette ponctuant d’un blanc immaculé son tableau, plus intense par miracle que la valeur maxima du spectre de l’arc-en-ciel. Ces personnages ou ces bateaux ivres bougeant sur l’horizon de la toile me font penser à une histoire déjà ancienne sur Shri Rama Krishna, citée par Hugo von Hofmannstahl dans un court essai, « Les couleurs »: sa vie soumise à la volonté divine avait provoqué sa première extase religieuse à la vue d’un vol d’oiseaux se détachant, d’un blanc lumineux, sur le ciel azur du golfe du Bengale.

 

François Stahly